Désespéré, je jetai un regard vers l'espace, et ne pus réprimer un frisson de découragement.

Derrière la baie vitrée, une armada immense s'étendait. Autour du vaisseau amiral où je me tenais, de bons vieux croiseurs X-27 armés jusqu'à la proue assuraient fidèlement la protection de l'Empereur. Au loin, à proximité d'une planète nouvellement conquise, des flottilles de porte-nefs vomissaient leurs flots d'intercepteurs. Un flash lumineux me fit sciller des paupières : une patrouille de X-32 jaillit soudain de l'hyperespace. Ils glissèrent quelques instants dans le vide, puis s'immobilisèrent aux côtés de la flotte dans un silence de mort.

"Le Maître va vous recevoir" annonça un garde, vêtu de la pourpre impériale. Je hochais la tête avec un regain d'espérance. Rares étaient ceux qui pouvaient l'approcher, et je souris intérieurement à cet aveu de faiblesse. S'il me laissait entrer, c'est qu'il ne se sentait pas le droit de m'éconduire.

On exigea mon éclateur, puis je passais par un sas aux capteurs transluscides. Les rayons fouillèrent mon corps à la recherche de manipulations génétiques ou d'implants bioniques. Il prenait décidément toutes ses précautions.

Je souhaitais entrer dans la salle du trône en position de force, d'un pas rapide et dominateur. Au lieu de cela, je marquai un temps d'arrêt, décontenancé.

La salle était plongée dans une obscurité poisseuse qui me mettait mal à l'aise. Je remarquais la présence imprévue d'une poignée de gardiens encapuchonnés. Tout en eux respirait la force et la volonté. Ils se tournèrent vers moi comme un seul homme, et je sentis des fourmis dans le visage et le reste du corps. La sensation désagréable d'être ausculté, comme l'effleurement lointain d'un brouilleur qui s'active. Ils épiaient mon esprit, je le sentais : on pesait ma force et mon courage ; on testait ma volonté et ma résignation. Je dressai à l'instant mes barrières mentales, mais si elles atténuaient l'effet de cette intrusion, elles ne pouvaient totalement l'empêcher.

"APPROCHE"

Je tressaillis. La salle était toujours silencieuse, les hommes toujours immobiles à m'observer, et pourtant la voix résonnait dans mon esprit, impérieuse et sensuelle. Depuis son trône, l'Empereur dominait la salle de sa majesté inquiétante. Un rictus balafrait son visage, marqué par les contusions de la haine et du mal absolu.

J'avançais vers le trône, tandis que l'on s'écartait lentement devant moi. Chaque pas était de plomb, et ma peau exhalait la peur. Parvenu au bas des marches, il me fallut un effort inouï pour me reprendre.

Je clamais alors d'une voix qui se voulait assurée :

"Soit-disant Empereur ! Je suis ici par ordre du seul et unique Empereur, sa Majesté de Trantor, Capitale de l'Empire, pour envisager les termes d'une négociation et d'un partage de la galaxie. Nous devons trouver un accord et épargner ainsi des milliards de vies ! Nous sommes certains que..."

" PROSTERNE-TOI !"

Une pression irrésistible s'abattit sur mes épaules, et mes genoux heurtèrent durement le sol. Je voulus parler, mais toutes mes forces me quittèrent et mon corps bascula vers l'avant. La nausée s'emparait de moi et j'étais pris de vertige.

"PARTAGE ? NEGOCIATION ? VOTRE PITOYABLE EMPEREUR N'EST PAS EN MESURE DE NEGOCIER..."

Un grondement imperceptible m'apprit que les moteurs du croiseur venaient d'entrer en action. Je tournais la tête lègèrement de côté, et vis la flotte tout entière s'ébranler. "Non !"

"OUI. VOTRE SELDON N'AVAIT-IL PAS PREVU LA CHUTE DE TRANTOR ? NOUS SOMMES EN ROUTE..."

La nausée se transormait en palpitations et je sentais mon coeur se serrer dans ma poitrine. J'étais spécialement entraîné pour ce genre de situation, mais la pression était irrésistible. La terreur me fit suffoquer et je jetais un regard éperdu aux gardiens mystérieux qui m'entouraient, en quête de soutien. Je ne pus m'empêcher de hurler brusquement, tandis que le visage de ma femme emplissait mon esprit : " Trantor... Mon Empereur... Cessez cette folie ! Acceptez de négocier !"

"IL EST VENU L'AGE DE L'IMPERIUM. IL EST VENU L'AGE DES SITH. MOI, VOTRE EMPEREUR, J'AI DECIDE QUE CETTE NEGOCIATION ETAIT TERMINEE."

Autour de moi, le cercle se referma imperceptiblement. Ma dernière pensée fut pour ma femme, tandis que dans mon dos bruissait le son terrifiant d'un sabre laser.